MÉMOIRES D’OUTRE-MUR

« Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre, 
quand il sera vieux il ne s’en détournera point. »

Le livre des proverbes.

Doudou est mort. J’ai peur. Ce matin, il y a eu un gros bruit et du feu. Et doudou a disparu dans les flammes. Quand les choses disparaissent, elles sont mortes. Maman, elle m’a expliqué ça pour papa. Maintenant, Doudou est mort et je ne sais pas comment je vais dormir. Maman est sortie tout à l’heure. Dehors, il y a souvent des gens qui crient, je les entends, et après, ils disparaissent. Sur les toits, il y a des messieurs qui leur tirent dessus. Maman, elle me l’a dit. Je dois pas sortir, sinon je peux mourir. Comme Doudou. Mais ma maman, des fois, elle doit sortir pour chercher à manger. J’ai faim. Elle est partie il y a longtemps. Et puis j’ai froid. Les fenêtres, elles sont cassées et il y a des trous partout alors le froid, il rentre. Je vais me cacher dans mon lit. Dépêche-toi, maman, s’il te plait. (Bip) 

Il fait nuit. Je suis toute seule et j’ai peur. Quand je me suis réveillée, j’ai pensé à Doudou. Et à maman. Ils n’étaient pas là. Alors j’ai pleuré. Maman, elle me dit que quand j’ai peur, je dois te parler. Alors voilà. Mais j’ai quand même peur. C’est pas juste. J’espère que maman va revenir avec un gâteau. Un jour, j’en ai vu dans un livre. C’était une jolie photo et ça avait l’air drôlement bon. Maman, elle m’a dit que quand elle était petite, elle en avait fait avec sa maman à elle. Mais il faut plein de choses qu’on n’a pas, alors on peut pas en faire, nous, elle m’a dit, maman. Elle est pas là. J’espère qu’elle a pas disparu à cause des messieurs sur les toits. Je sais pas où se trouve le manger. J’ai faim. J’ai tellement faim. (Bip) 

En fait, les messieurs sur les toits, il ne tirent pas sur tous les gens. En tout cas, pas sur moi. Mais c’est peut-être parce que je suis trop petite. Ils me voient pas. Et moi non plus, je les vois pas. Mais eux, ils sont cachés, alors forcément… Maman aussi elle doit être cachée, parce que je la trouve pas. J’ai marché dans la rue, mais y avait personne. Juste de la poussière et des cailloux. J’ai peur. Je suis entrée dans une maison qui n’avait pas de porte. J’ai attendu. Ça fait longtemps que j’attends. Des fois, j’appelle maman, mais elle répond pas. (Bip)

Maman, elle m’a dit qu’il fallait pas parler aux inconnus. Mais moi, je connais personne, alors… Et puis, le monsieur, il m’a dit qu’il s’appelle Gabriel, et que comme je connais son nom, c’est pas un inconnu. C’est pas bête, je trouve. En tout cas, il est gentil, il m’a donné à manger. Il avait des biscuits un peu cassés dans son sac, et il m’en a passé. C’était très bon. Même qu’il m’a caressé la tête, et ça m’a rappelé maman. Alors j’ai pleuré et il m’a consolée en me disant « ça va, ça va », et c’est vrai, ça allait mieux. (Bip)

Gabriel sourit beaucoup, mais c’est pas comme maman, je trouve. Son sourire, il me fait un peu peur. Il me donne toujours bien à manger, mais après, il me caresse et après j’ai mal. Mais je voudrais pas qu’il soit en colère, alors je ne lui dis pas que j’ai mal. Je pense aux biscuits, et en fait, ça va. (Bip)

Ce matin, Gabriel est mort aussi. Il a dit « à table ! » et il y a eu un éclair blanc. Et après, il n’y avait plus rien au-dessus de son zizi à part des flammes et ça m’a fait rire. Ça sentait bon dans la pièce, comme quand un jour maman elle a fait des saucisses. J’ai pris son sac où il y a la nourriture. En vrai, il était pas très gentil. Un jour, je lui ai dit qu’il me faisait mal et il m’a dit qu’il y avait plein d’enfants qui seraient contents d’être à ma place et il m’a tapée. Il m’a dit que je ne devais pas aller là-bas, parce qu’il y a des méchants. Mais comme il est méchant, peut-être qu’en fait c’est des gentils, je me suis dit. Je verrai. (Bip)

Tout à l’heure, dans la rue, j’ai vu une dame et j’ai cru que c’était ma maman. Elle courait. Je l’ai appelée et elle s’est arrêtée. Quand elle m’a vue, elle a eu l’air très triste tout à coup et elle est repartie en courant. Je voulais lui demander si elle avait vu maman, mais elle était trop loin. Si ça trouve, elle a disparu pour de vrai. C’est dommage, j’aimerais bien être avec elle maintenant… (Bip)

J’ai pas très confiance. Là-bas, il y a des gens et ils ont des fusils. Je me dis qu’ils vont me tuer si ça se trouve. Alors j’attends un peu. J’ai encore des biscuits dans le sac, alors ça va. S’ils ont des fusils, c’est pour faire disparaître des gens, donc c’est des méchants. Maman, elle est gentille et elle a pas de fusil. Si ça se trouve, il y a que des méchants partout. Des méchants qui tirent et qui tuent tout le monde, même les gentils qui font rien. Comme maman. Et les enfants, alors, peut-être qu’ils sont gentils, eux ? Il faudrait que j’en rencontre pour savoir, alors forcément… (Bip)

Je suis contente, j’ai trouvé une maison. Elle est pas trop cassée. Dedans, il y avait un monsieur mort, comme Gabriel. Il avait l’air tout cassé. Ce qui est chouette, c’est que j’ai trouvé un objet rigolo. Quand on regarde dedans, on voit tout très gros, et ce qui est loin a l’air tout près. Comme ça, je vais pouvoir regarder les méchants. C’est comme quand je joue à cache-cache avec maman. J’ai même vu un grand mur tout là-bas, qui va de là à là, on dirait qu’il est infini et tout ! J’aimerais bien le voir pour de vrai un jour, de près, le toucher. Je sais pas, ça a l’air drôle. Je crois que je vais rester un peu pour me reposer, je suis fatiguée. Je n’ai plus trop de biscuit, non plus. J’appelle toujours maman, mais personne répond. (Bip)

Ce matin, j’ai rencontré Noah, il est très gentil et c’est un grand, il a au moins vingt ans, je crois. Il est entré dans ma maison et au début j’ai eu peur, mais comme il avait pas l’air méchant, on a partagé des biscuits et on a rigolé. Il était drôlement content parce qu’il avait pas mangé depuis très longtemps il m’a dit. Moi, je suis contente si j’ai un ami, ça fait comme mon grand frère. C’est pas comme une maman, mais il va peut-être pouvoir m’aider. Là il dort, mais il m’a dit qu’il m’emmènerait avec lui dans un endroit très chouette qui s’appelle l’Orphelinat où y a plein d’enfants. Je crois qu’on va beaucoup s’amuser là-bas, sans les méchants et tout ! (Bip)

Noah, il m’a expliqué pour le « Mur ». Quand il dit le Mur, on sait que c’est pas juste un mur comme ça. Moi, je savais pas, alors forcément… Il m’a dit. Il m’a dit que c’est en fait une muraille super grande et que derrière, il y a plein à manger. En fait, c’est là que vivent les méchants, le Groupe qu’ils s’appellent en fait, il m’a dit, Noah. C’est eux qui nous font disparaître avec leurs fusils. Il a dit que nous, on est les gentils, qu’on a juste faim à cause de la météo qui est déréglée depuis je sais pas quand, j’étais même pas née, il m’a dit, et lui non plus. Nous, on veut juste à manger, et c’est vrai que j’ai faim. C’est pas juste qu’ils veulent pas partager leurs biscuits avec nous. Et même, il m’a dit qu’ils ont surement des gâteaux. Des gâteaux, pour de vrai ! J’aimerais tellement en manger un, un jour, je crois que je mourrais tellement ça a l’air bon ! Mais il m’a dit que pas tout de suite, d’abord, il faudrait casser le Mur, et c’est pour ça qu’on doit aller à l’Orphelinat qui est un super endroit avec plein d’enfants comme nous. Il m’a dit que les méchants, ils veulent pas qu’on rentre alors ils nous tirent dessus. Il m’a dit ta mère si ça se trouve elle est morte à cause du Groupe. Moi, je sais que c’est pas vrai, et que je vais la retrouver, mais quand même j’ai pleuré. (Bip)

L’Orphelinat, c’est pas vraiment comme je croyais. Moi je croyais que ça serait un chouette endroit avec plein d’enfants qui jouent et qui rient, comme des enfants, quoi. Mais en fait, non. C’est une maison sous la terre. Noah, il dit que c’est pour que les méchants nous voient pas et je trouve ça malin. Au moins, on est tranquilles ici, et j’ai ma chambre, avec d’autres enfants, on est douze je crois, je sais pas, je sais compter que jusqu’à dix, après je sais pas, alors forcément… Le matin, on nous réveille tôt, j’ai encore sommeil, et je regrette un peu de ne plus être dans la rue parce que je faisais ce que je voulais. Après, on mange un biscuit et puis on va en classe avec la maîtresse qui nous explique tout. Elle nous dit pourquoi le Groupe c’est les méchants, et pourquoi on n’a plus de parents, sauf moi, bien sûr, parce que j’ai encore maman même si je sais pas où elle est, parce que les parents, souvent, ils sont disparus pendant le voyage – moi je sais que ça veut dire qu’ils sont morts, mais y en qui savent pas, alors je dis rien pour pas les faire pleurer. Elle nous explique comment un jour on ira « au-delà du Mur », c’est elle qui dit ça et je sais pas trop ce que ça veut dire, mais je demande pas parce que je veux pas qu’on se moque. Elle nous a dit comme Noah il a dit, qu’on aura plein de gâteaux, et des fruits aussi, de la nourriture qui pousse dans les arbres, ça nous a fait rire. Mais après, elle nous a fait goûter un fruit, ça s’appelait une clémentine, et c’était trop bon ! Elle nous a dit qu’il suffisait qu’on aille jusqu’au Mur et qu’après, on pourrait manger autant de clémentines qu’on voudrait, moi j’ai trop envie. Alors ça m’embête pas de vivre sous la terre et d’attendre d’être « formée », comme dit la maîtresse. Juste, maman, tu me manques. Heureusement, la maîtresse elle l’a dit, après le Mur, je pourrais aussi te voir et manger des clémentines. J’ai trop hâte. (Bip)

Je suis trop contente ! Aujourd’hui, la maîtresse, elle m’a dit que je suis prête. Je pars pour le Mur tout à l’heure. Noah a beaucoup pleuré quand je lui ai dit. Peut-être il est jaloux. Moi je pars et pas lui, alors forcément… En tout cas, je sais pas pourquoi, mais au fond de mon cœur, je sais que je vais te retrouver tout à l’heure, Maman. (Bip)

CONFIDENTIEL DÉFENSE

Faire face aux nouvelles menaces terroristes

L’étude du bracelet mémoriel récupéré sur le site de l’attentat du 31 octobre 2054 montre que les méthodes auxquelles le Groupe d’Intervention de la Mégapole a recours semblent dépassées. 

Si l’éradication de l’influence de la Légion de Libération du Peuple a longtemps été la priorité du Groupe, il faut désormais s’intéresser à l’émergence de groupuscules indépendants, et notamment ceux issus des « orphelinats » dont est issue la jeune enfant auteure de l’attaque qui a causé la mort de trois soldats et la dégradation de la structure du Mur. Rappelons que le Mur est le seul rempart existant entre nous et le terrorisme pour préserver les intérêts de la population.

Il importe donc dans ces conditions de mettre en place une politique implacable résultant notamment en l’adoption d’une loi autorisant le tir sans sommation de tout individu, adulte ou enfant, approchant du Mur en étant vêtu d’un habit ample ou porteur d’un bagage ou d’un objet (ours en peluche, poupée…) pouvant dissimuler un explosif. Ce n’est qu’en étouffant dans l’œuf toute velléité d’insurrection de la part des terroristes climatiques que la civilisation l’emportera sur la barbarie.

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