UN RENDEZ-VOUS EN ENFER

Lorsqu’elle gara sa voiture dans l’allée, Emma pensait encore au coup de fil qu’elle avait reçu quelques jours plus tôt. Elle se prélassait dans son canapé après une dure journée de travail à la caisse du supermarché quand elle avait senti vibrer son smartphone sous elle. C’était Henrietta, sa tante qu’elle n’avait plus guère vue depuis des années, ne l’ayant croisé qu’à l’occasion d’un enterrement. La vieille femme s’était installée bien des années auparavant dans une maison perdue dans le centre de la France, et la distance l’avait coupée du reste de la famille plus surement que ses lubies et son goût pour l’ésotérisme.

Henrietta lui avait dit qu’elle avait besoin de la voir rapidement, qu’elle avait peur, toute seule chez elle. Elle ne pouvait pas trouver de réconfort auprès de ses voisins qui vivaient trop loin et avec lesquels elle n’entretenait aucun lien, et s’inquiétait des mauvaises énergies qui baignaient sa région et d’une présence rôdant autour de sa maison. Emma avait tout d’abord été interdite devant ce discours insensé, et avait été tentée de raccrocher poliment pour profiter de sa soirée en regardant un bon film, mais le souvenir des vacances scolaires passées chez Henrietta et la promesse de se faire choyer par la vieille femme finirent par la convaincre. Elle promit donc de venir la voir le week-end suivant.

La maison semblait assoupie au milieu du jardin clos recouvert de plusieurs générations de feuilles mortes, où végétaient quelques arbres racornis aux branches noueuses. Il se dégageait de la bâtisse une impression de solitude et de tristesse infinies. Comment aurait-il pu en aller autrement d’un lieu où vivait une femme s’étant depuis si longtemps retirée loin de tous ? Elle hésita encore un instant avant de couper le contact, songeant à repartir dans l’instant comme si ce lieu ne promettait que malheurs et calamités. Enfin, elle descendit de sa voiture. 

Elle fut surprise de voir que les volets de la maison étaient tous fermés. Elle était partie de Paris plus de deux heures auparavant, et la matinée était déjà bien entamée. Elle se dit qu’il était rare que les personnes âgées se lèvent après huit heures et s’avança avec un certain pressentiment. Sur le perron, elle marqua une pause avant d’enfoncer le bouton de la sonnette. Elle ne reçut aucune réponse. Elle posa la main sur la poignée de la porte et vit qu’elle n’était pas verrouillée.

Le vestibule s’ouvrait sur diverses pièces et un escalier en bois à la rampe vermoulue. L’odeur qui enveloppait les lieux lui rappela la maison que louaient ses parents au bord de mer pendant les étés de son enfance. L’humidité était depuis le parfum des premiers jours vacances, quand on ouvre pour la première fois depuis des mois le pavillon resté en hibernation dans l’attente des estivants. Emma toussa dans l’air chargé de la poussière soulevée par son intrusion entre ces murs assoupis.

Les volets fermés privaient la maison de la faible lueur du soleil automnal, et elle chercha à tâtons un interrupteur. La lumière mesquine qui tomba du plafond révéla de grands tableaux sombres aux murs, et Emma se souvint qu’ils la terrifiaient déjà quand elle était petite. Elle se demanda si des ancêtres la fixaient d’un regard sévère ou si sa tante avait une passion étrange pour les portraits d’inconnus sinistres. Elle s’approche d’un des cadres, mais le cartouche qui y avait été vissé ne lui apporta pas plus d’informations concernant la personne immortalisée par un artiste inconnu d’elle.

Les murs étaient toujours couverts d’un affreux papier peint floral aux motifs étouffants. Elle se dit qu’elle n’aurait jamais pu s’installer dans une telle demeure. Certes, la maison était bien plus spacieuse que le petit appartement de banlieue qu’autorisait son maigre salaire d’hôtesse de caisse, mais quel poste aurait-elle pu trouver dans un coin aussi reculé ? Elle se demanda si elle avait bien fait de s’infliger deux heures de route pour venir jusqu’ici. Se retrouver dans cet ermitage rongé par les parasites sans signe de vie de sa tante avait tout de la douche froide. Emma n’avait plus qu’une envie, faire demi-tour. Elle appela néanmoins Henrietta, mais une fois de plus ne reçut aucune réponse. Se serait-elle absentée pour une course urgente sans la prévenir ? Tout était possible avec ce personnage haut en couleur…

Un bâillement irrépressible lui rappela que la route avait été longue, et qu’une pause s’avérait indispensable. Elle se massa la nuque raidie en faisant quelques pas jusque dans le salon. Là encore, la lumière du plafonnier était chiche, rappelant qu’une vieille femme élevée dans les restrictions de l’après-guerre vivait là depuis des années. La tapisserie bon marché évoquait la vieillesse et la mélancolie, et les lourdes bibliothèques encombrées montant la garde contre les murs renforçaient l’impression d’enfermement. La lueur de fin de journée avait du mal à filtrer à travers les persiennes closes, jetant un voile lugubre sur les meubles comme fossilisés. Le parquet souffrait sous ses pas, ponctuant sa traversée de la pièce de grincements malheureux. Elle avait peur de tomber sur Henrietta, effondrée dans un fauteuil.

Elle parcourut les rayonnages d’un regard distrait, ne trouvant aucun ouvrage qu’elle aurait eu l’occasion de lire dans son enfance. Il n’était question que d’ésotérisme, de légendes anciennes, de mythologie égyptienne, nordique ou africaine… « Décidément, Henrietta, tu as vraiment le chic pour créer une ambiance chaleureuse », lança Emma d’une voix qui rebondit, affolée, sur les murs de la pièce. Entre les meubles de bois brut se trouvaient d’autres tableaux en clair-obscur aux visages durs. Un frisson remonta le long de son dos, et elle se décida à quitter le salon sans s’accorder une pause méritée dans le canapé fatigué.

La cuisine avait pour sa part un charme pittoresque et champêtre avec ses placards en chêne et son carrelage brunâtre. Elle posa son sac à main sur la table et son manteau sur une chaise à l’assise en paille tressée. Le vieux réfrigérateur ne contenait que quelques rares denrées et des restes de pâtes et de soupe. Elle ouvrit l’un des meubles pour y prendre un verre blanchi par les dépôts calcaires et laissa couler l’eau du robinet un bon moment avant de le remplir. Elle but à longues gorgées satisfaisantes puis reprit son exploration. Elle ne découvrit que quelques boîtes de légumes en conserve, un sac de pommes de terre germées, de l’ail aux gousses desséchées et des paquets de pâtes et de riz. Le dîner promettait d’être des plus frugal. 

La fraîcheur tombait sur les murs quand Emma monta au premier étage. Elle frappa à la porte de la chambre de sa tante avant d’entrer timidement. La pièce vide était occupée par un grand lit recouvert d’un lourd édredon étouffant, d’une commode contenant des vêtements proprement pliés et d’une coiffeuse où reposait une photo de sa tante et de son oncle qu’Emma n’avait jamais connu. Henrietta y affichait son visage assez doux avec ses éternelles lunettes rouges. Cet accessoire incongru faisait partie du personnage de femme fantasque éprise de littérature ésotérique, de rituels magiques et de cérémonies pour Mère Nature. Emma se sentait de plus en plus inquiète et se souvenait de la voix angoissée de sa tante au téléphone. Elle pria pour qu’il ne lui soit rien arrivé de grave.

La pièce adjacente était un petit bureau où s’entassaient carnets et livres jaunis. Il y était encore question de démonologie, de magie blanche, de la force de la pensée, de la présence d’entités parmi les vivants. La table de travail était également encombrée d’objets divers qu’Emma identifia comme un pendule, plusieurs jeux de tarot divinatoire, et un étrange miroir à la surface réfléchissante d’un noir profond. « Décidément, elle voulait se faire passer pour une sorcière ! », pensa Emma avec un sourire cachant mal le malaise qu’elle ressentait.

Petite, elle écoutait Henrietta lui prédire son avenir en caressant la paume de ses mains, ou la regardait plongée dans ses pensées, un pendule se balançant au bout de son bras. Toutes deux allaient parfois se promener dans les bois environnants pour communier avec la nature. Sa tante lui parlait alors du pouvoir des plantes, de leur capacité à soigner ceux qui savaient s’en servir, mais aussi de la façon dont les arbres communiquaient entre eux.

Emma fut tirée de ses souvenirs par la disparition soudaine de la lumière. Elle se précipita vers la porte de la chambre et actionna frénétiquement l’interrupteur dans un réflexe aussi répandu qu’inefficace. Elle sortit de la pièce et constata que les ampoules du couloir s’étaient elles également éteintes. « Me voilà bien si les plombs ont sauté ! », se lamenta-t-elle. Elle redescendit prudemment au rez-de-chaussée pour se rendre dans la cuisine. Elle se souvenait que sa tante y gardait toujours quelques bougies et une boîte d’allumettes dans un tiroir, ce qui s’était souvent avéré très utile les soirs d’orage.

Elle alluma une chandelle d’une main tremblante, suffoquant dans ces ténèbres naissantes. Le soleil avait disparu derrière les arbres depuis un certain temps, et la nuit s’apprêtait à s’installer pour de longues heures. Emma se dit qu’elle n’avait aucune chance de trouver un dépanneur à une heure si tardive et promena sa bougie le long des murs de la cuisine puis dans l’entrée à la recherche du disjoncteur. Où qu’il fût, ce n’était visiblement pas au rez-de-chaussée. Elle ne se voyait pas passer la nuit dans un lieu aussi lugubre avec pour seule source de lumière une poignée de bougies. Elle n’avait jamais été vraiment peureuse, mais l’atmosphère de magie noire qui planait là l’angoissait de plus en plus. Elle se dirigea à contrecœur vers la porte sombre sous l’escalier qu’elle redoutait depuis l’enfance. Elle s’en approcha et la tira à elle. Elle s’ouvrait sur des marches de bois plongeant dans les entrailles de la maison. Peut-être trouverait-elle les fusibles au sous-sol, mais pour cela, il lui faudrait d’abord affronter son cauchemar de petite fille en descendant jusqu’à la cave baignée d’un noir d’encre.

Elle posa un pied sur la première marche, sa bougie devant elle, protégeant de l’autre main la flamme chétive qui projetait la silhouette tremblante d’Emma sur les murs lépreux. Elle avançait lentement, s’enfonçant dans les ténèbres, incapable de voir le sol de la cave. Les degrés grinçaient à chacun de ses pas, et la rampe au bois rugueux à sa droite tremblait, l’ensemble menaçant de s’écrouler d’un instant à l’autre. Elle écarquillait les yeux, tentant de percer la nuit pour apercevoir sa destination, mais en vain.

Soudain, elle sentit son corps basculer en avant en même temps qu’une explosion de douleur remontait de sa cheville à ses hanches. Avait-elle raté une marche ou son pied s’était-il tordu sur son talon ? Son dos percutait les angles de l’escalier, sa tête donna contre le mur, et ce fut le noir complet.

Combien de temps avait-elle perdu connaissance ? Elle n’aurait su le dire. La bougie s’était éteinte et avait roulé plus loin, la privant de tout repère. Elle appela de nouveau sa tante, mais ne reçut que l’écho de sa voix pour toute réponse. Son corps n’était qu’ecchymoses et élancements, elle avait le souffle court et la tête lourde. Elle essaya de se relever, mais une décharge de souffrance éclata dans sa cheville et elle cria de surprise. Elle palpa avec précautions sa jambe et son pied, cherchant à établir un diagnostic approximatif de l’étendue des dégâts. C’était bien sa cheville qui la torturait ainsi. Si elle ne saignait apparemment pas, elle ne pouvait pas mobiliser son pied, lui faisant redouter une fracture ou une luxation. Elle pleurait, tout autant de terreur que de désespoir. « Et mon téléphone qui est là-haut… », pensa-t-elle rageusement. Elle devait absolument remonter.

En tâtonnant, elle parvint à mettre la main sur la bougie. Elle s’était cassée en deux, mais pouvait encore faire son office. Emma gratta une allumette et une lueur sépulcrale se fit dans la cave, l’éblouissant le temps que ses pupilles s’habituent à quitter les ténèbres. Elle fit un rapide panoramique et se figea.

Dans sa chute, elle avait réduit l’escalier vermoulu à un tas de planches brisées éparpillées au sol. Trois mètres plus haut, la porte de la cave ouverte laissait deviner le vestibule et les deux premières marches encore intactes dominant le vide. Même avec une cheville en état de fonctionnement, elle n’aurait jamais eu la force de se hisser jusque là à la force des bras. Et sa tante qui ne donnait pas signe de vie. « Me voilà bien… »

Il lui fallait absolument trouver un moyen de s’évader de ce piège, et elle jeta un œil alentour. Au fond de la cave, face à l’escalier, l’un des murs était troué d’un soupirail, mais ce dernier était bien trop étroit pour lui permettre de s’y faufiler. La porte semblait être la seule issue possible, mais elle était pour l’heure totalement inaccessible. « Au secours ! », hurla-t-elle à tue-tête. Elle cria pendant de longues minutes, mais elle dut se rendre à l’évidence : le premier voisin se trouvait bien trop loin pour l’entendre, et il y avait peu de chance quiconque passe à proximité pour lui venir en aide. Surtout à une heure aussi tardive. À travers le soupirail, elle pouvait voir que le soleil avait déserté le ciel, laissant la place à la Lune et aux terreurs nocturnes.

Après avoir pris plusieurs profondes respirations, Emma s’aida du mur pour se redresser, sans s’appuyer sur sa jambe meurtrie. Elle ramassa la bougie et la posa sur une espèce de guéridon condamné à pourrir dans la cave jusqu’à la fin des temps. En boitillant, elle s’approcha d’un amoncellement hétéroclite comme il s’en trouve dans tous les sous-sols du monde à la recherche d’une lueur d’espoir. Peut-être qu’en entassant suffisamment d’objets, elle serait en mesure d’atteindre sans trop de difficulté la porte.

Elle eut toutes les peines du monde à tirer un carton de larges dimensions sans aucune indication, s’arc-boutant pour trouver un peu plus de force sans trop malmener sa jambe. Ensuite, elle déplaça d’autres boîtes plus petites, qu’elle parvint à empiler sur la plus grosse, utilisant parfois de légers meubles en bois pour parfaire son installation.

Elle s’affairait depuis de longues minutes, transpirant à grosses gouttes qu’elle sentait couler le long de son dos et de ses bras quand elle recula prudemment de quelques pas pour admirer son ouvrage. Elle eut envie de rire devant cet amas instable, persuadée d’avance de s’être épuisée pour rien. Il n’y avait aucune chance pour que cette installation lui permette d’atteindre la porte qui la narguait, si proche et pourtant infranchissable. Son seul espoir était que sa tante rentre enfin de son étrange course et qu’elle fasse venir les secours. Autrement, elle risquait d’être condamnée à finir ses jours dans cet atroce sous-sol.

Soit. Elle était descendue là avec un objectif simple : trouver la boîte à fusible et retrouver de la lumière. Si elle pouvait résoudre ce problème, elle aurait plus de chance de sortir de cet enfer. Elle décolla la bougie de son guéridon, la cire fondue lui brûlant le bout des doigts, et s’enfonça un peu plus loin dans la cave en claudiquant. Enfin, elle trouva le disjoncteur. C’était un modèle antédiluvien, utilisant de vrais plombs, et l’un d’eux avait bel et bien grillé. Et il n’y avait pas trace d’un remplaçant à proximité. Elle s’effondra au sol, son dos glissant le long du mur couvert de salpêtre et resta là, immobile, la tête entre les bras.

C’est un bruit qui la tira de la torpeur dans laquelle l’abattement la plongeait. C’était un son ténu, mais très distinct, de grattement ou de frottement. On aurait dit le déplacement furtif d’une présence cherchant à l’observer depuis les ombres. Une chose qui bougeait derrière les cartons, autour des armoires branlantes, le long des murs sales… Une présence invisible. L’image des vieux livres dans les bibliothèques et le bureau lui revinrent alors en tête. Ces grimoires de sorcière, ces manuels d’occultisme, ces traités de mythologie, toutes ces pages dédiées aux forces du mal lui apparaissaient à présent comme une source de maléfices terrifiants. Le cœur battant à tout rompre, elle cherchait à se fondre dans le décor, à disparaître dans le mur, à échapper à ce qui s’annonçait. Les yeux fouilla les ténèbres, elle ne voulait pas se faire surprendre, mais redoutait dans le même temps ce qu’elle pourrait apercevoir dans cet antre infâme.

Quelle créature inhumaine pouvait rôder ici, cherchant à se repaître des imprudents attirés dans ce piège ? Quel monstre séculaire avait été banni du monde des vivants et enfermé en ces lieux ? Quel objet maléfique avait été animé d’une vie sacrilège et déambulait au milieu de ce monde d’oubli ? Emma devenait folle. La douleur et la terreur enserraient son cerveau dans un voile humide qui entravait son corps. Elle était pétrifiée, résolue à disparaître à son tour ici, à se voir transformée en fantôme misérable condamné à hanter ces vieilles pierres jusqu’à la fin des temps.

— Tu dois de ressaisir ! 

Sa voix suraigüe la surprit et la tira de son accablement. Elle se leva, brandissant son dérisoire bout de cierge comme s’il s’était agi d’un artefact magique lui assurant une protection contre le démon, et s’avança en boitant vers le bruit indéfinissable qui lui faisait perdre la raison. Arrivée près d’une commode aux tiroirs entrouverts, elle se pencha lentement. La lueur de la flamme lui permettait d’en apercevoir brièvement le contenu. De vieux papiers, de menus objets. Sa respiration sifflante occupait tout l’espace. Enfin, à genoux, elle jeta un œil sous le meuble.

Elle rit. Comme une mère amusée par le comportement extravagant de son enfant. Une souris. Ce n’était qu’une minuscule souris qui s’enfuit, apeurée par la morsure de la bougie. « Quelle idiote ! », se réprimanda-t-elle, trop soulagée pour être réellement en colère contre elle-même. Elle se dit qu’il était assez facile de se faire peur, qu’une cave abandonnée dans laquelle on se retrouvait enfermée à la nuit tombée avait tout ce qu’il fallait pour se voir paralysé par l’angoisse.

Elle se laissa choir sur une chaise instable et posa la bougie au sol pour reprendre son souffle en fermant les yeux. La porte était inaccessible, le soupirail trop étroit, son téléphone hors d’atteinte et le monde entier ignorant de sa situation. Elle ne pouvait compter que sur ses propres ressources pour retrouver l’air libre.

En rouvrant les yeux, elle remarqua, dans le halo vacillant de la bougie des traces à demi effacées, comme si un meuble avait été déplacé. La piste se terminait sous une étagère en métal léger dont les tablettes étaient couvertes de petits cartons. Emma trouva étrange que ces marques ne correspondent pas au meuble reposant sur quatre pieds. Elle retira les boîtes rangées sur l’un des rayons. Dans l’espace libéré, le mur du fond apparut.

Alors que la cave était recouverte de poussière et de moisissures, cette étroite portion montrait de larges briques sombres au mortier plus clair. Emma, se tenant sur sa jambe valide, donna de l’épaule contre l’étagère qui s’abattit avec fracas, répandant son contenu sur le sol. Au mur, une forme rectangulaire se dessinait, large d’une soixantaine centimètre et haute d’un mètre cinquante, elle avait tout d’une porte que quelqu’un avait scellée.

Emma se demanda ce qui pouvait bien se trouver derrière cette ouverture condamnée. Pourquoi sa tante avait-elle fait fermer ce passage ? « Hé bien, même si c’est un couloir qui mène tout droit à un cimetière hanté, ça me convient. Tout plutôt que moisir plus longtemps dans ce sous-sol de la terreur ! », se dit-elle. Elle essaya de trouver du regard un objet qui pourrait lui permettre d’abattre cette cloison et remarqua un carton débordant d’outils en tout genre. Après en avoir sorti une scie, quelques tournevis rouillés et d’autres instruments dont elle ne connaissait pas le nom, elle trouva enfin ce qu’elle cherchait. Elle saisit le marteau et revint vers le mur de briques. Elle ramena le bras en arrière avant de donner un grand coup contre la cloison. Elle y mit toutes ses forces et l’outil s’enfonça, creusant un trou de la taille d’un sous-verre, bien trop étroit pour permettre de voir ce qu’il y avait derrière. Elle priait pour que le manche usé et un peu gluant ne se brise pas lorsqu’elle s’en servit de nouveau.

Son futur se trouvait derrière ce mur, Emma en était certaine. Il lui suffisait d’y faire un trou assez large pour pouvoir passer de l’autre côté. Elle tapait avec l’énergie du désespoir, ignorant son corps martyrisé, se disant qu’elle aurait tout le loisir de s’apitoyer sur son sort une fois qu’elle serait parvenue à sortir de là. « Allez, ma grande, encore un effort ! » Emma frappait encore et encore, de plus en plus vite, ahanant, le visage grimaçant, inconsciente qu’elle donnait l’image d’une folle échevelée.

Enfin, l’ouverture lui sembla assez grande pour qu’elle s’y faufile. Elle prit de nouveau la bougie, réduite à un tronçon de cire de quelques centimètres, et se glissa dans l’espace étroit qu’elle avait creusé sur une cinquantaine de centimètres de hauteur.

Une lumière chaude baigna l’autre côté, révélant deux cloisons brutes noircies. Emma s’avança prudemment, la peur au ventre. Et dans le cercle doré se découpèrent les contours avachis du cadavre d’une femme déjà rongée par la vermine. Ce n’est pas tant sa robe défraîchie ni son vieux pull troué qui attira l’attention d’Emma, mais son visage portant une paire de lunettes rouge. Elle y reconnut immédiatement celles de sa tante. Non pas terrassée par les esprits ou une présence de l’au-delà, mais simplement assassinée par un homme qui l’avait fait disparaître derrière une cloison montée à la va-vite.

Elle hurla à s’en écorcher la gorge lorsque la bougie mourut dans sa main.

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